Histoire de la découverte de quelques hallucinogènes
DE L’USAGE DE QUELQUES PLANTES HALLUCINOGÈNES, chez les voyageurs, les écrivains, les artistes et les médecins
par Aymon de Lestrange (voir la version pdf)
Pour citer cet article : de l’Estrange, Aymon, 2018, Histoire de la découverte de quelques hallucinogènes, https://societepsychedelique.fr/fr/blog/histoire-de-la-decouverte-de-quelque-hallucinogenes , septembre 2018, consulté le...
L’usage rituel et médical de stupéfiants tels que l’opium ou le haschisch remonte à plusieurs millénaires. Il en va de même pour les hallucinogènes tels que le peyotl ou bien les champignons hallucinogènes, à ceci près que leur découverte par l’Occident a été beaucoup plus tardive.
On estime à plusieurs centaines le nombre d’espèces de plantes répertoriées ayant des propriétés hallucinogènes, répandues sur toute la surface du globe. Mais c’est en Amérique latine, et plus particulièrement au Mexique que l’on en rencontre le plus grand nombre. Nous allons examiner l’histoire de deux d’entre elles, les plus importantes : le peyotl et le champignon psilocybe. Elles ont joué un rôle important mais méconnu dans l’histoire de la littérature et des arts ainsi que dans l’histoire de la médecine, et ce jusqu’à nos jours.
Le PEYOTL & la MESCALINE
Le peyotl est le nom nahuatl (signifiant brillant, soyeux ou encore, selon les sources, qui stimule) d’un petit cactus sans épines de 4 à 12 cm de diamètre et de 5 à 10 cm de hauteur. Le premier à le décrire scientifiquement est, en 1845, le botaniste français Charles Antoine Lemaire qui lui donnera le nom de Echinocactus williamsii. Il sera dénommé en 1888 Anhalonium lewinii avant de recevoir en 1894 son nom définitif de Lophophora williamsii, par le botaniste américain John Merle Coulter. Il pousse dans la partie nord et centrale du Mexique et au Texas. C’est le plus connu des cactus hallucinogènes. Une quarantaine d’autres espèces de cactus originaires d'Amérique centrale ou du Sud possèdent également des propriétés hallucinogènes, dont le Trichocereus pachanoi (San Pedro) qui pousse dans les Andes péruviennes essentiellement et est utilisé rituellement au cours de cérémonies chamaniques depuis 2000 ans.
En 2005, lors de fouilles dans le Rio Grande, au Texas, on a trouvé des restes de peyotl datant de 3700 avant J.C. indiquant son usage psychotrope à l’époque préhistorique au sein des populations Mésoaméricaines et Amérindiennes d’Amérique du Nord. (1)
Lors de fouilles au Mexique, des poteries représentant des peyotls, de la culture Colima (200 avant J.C.-300 après J.C.), ont été découvertes dans les états de Nayarit, Jalisco et Colima, ainsi que des poteries de la culture zapotèque (300 avant J.C) à Monte Albán dans l'état d'Oaxaca.
Le médecin espagnol Juan de Cardenas (1563-1609) est le premier Occidental à en révéler l’existence dans son ouvrage Problemas y secretos maravillosos de Indias, publié en 1591 au Mexique. Il écrit qu’il permet aux Indiens de « connaître les choses à venir, ce qui est la marque de la ruse de Satan… ». (2)
Le médecin et botaniste espagnol Francisco Hernandez (1515-1587), dans son ouvrage De historia plantarum Novae Hispaniae publié posthumément en 1790, en fait la première description botanique. (3)
Dans sa monumentale Histoire générale des choses de la nouvelle-Espagne, achevée en 1577, mais qui ne sera publiée qu’en 1829, à partir du codex de Florence, le frère franciscain Bernardino de Sahagún (1499-1590) déclare en parlant du peyotl :
« Ceux qui la mangent ou boivent voient des choses effrayantes ou risibles. Cette ivresse dure deux ou trois jours et disparaît ensuite. Cette plante entre dans la consommation habituelle des Chichimèques. Elle les soutient et leur donne du courage pour le combat en les mettant à l’abri de la peur, de la soif et de la faim. On croit même qu’elle les préserve de tout danger. » (4)
Un édit religieux en 1620 interdit l’usage du peyotl comme contraire à la « pureté et la sincérité » de la foi catholique, et punit d’excommunication ceux qui s’y adonnent. Son usage se poursuivra néanmoins de façon plus ou moins clandestine jusqu’à nos jours.
Les psychonautes : les premiers utilisateurs occidentaux
a) les médecins
Le premier récit d’ingestion volontaire de peyotl et de ses effets date d’avril 1887. Il est dû à un médecin de Dallas, John R. Briggs qui raconte son expérience dans un article du Medical Register. (5) Cette même année, il envoie plusieurs exemplaires de peyotl aux laboratoires Parke Davis qui en fournira au pharmacologue allemand Louis Lewin, qui publie en 1888 la première étude scientifique sur la chimie du peyotl. (6)
Mais c’est entre 1894 et 1897 que l’alcaloïde psychoactif principal du peyotl, parmi la cinquantaine existant dans le cactus, de la classe des phényléthylamines, sera identifié et isolé par le chimiste allemand Arthur Heffter qui le testera sur lui-même au fur et à mesure des différentes étapes. Il lui donnera le nom de mescaline. Elle sera synthétisée en 1919 par le chimiste autrichien Ernst Späth. (7) Sa structure chimique est proche de celle de l’adrénaline.
Elle sera commercialisée sous la forme de sulfate de mescaline par le laboratoire Merck puis entre les deux guerres, de chlorhydrate de mescaline par le laboratoire Roche jusqu’à son interdiction en 1970 .
L’article de Briggs passe inaperçu, ce qui n’est pas le cas de celui du médecin et écrivain S. Weir Mitchell, le père de la neurologie américaine. Le récit de son ingestion de peyotl paraît dans le British Medical Journal de décembre 1896. Mitchell est le premier à décrire précisément les effets visuels associés au peyotl. (8) Il en fournira à la même époque au grand psychologue et philosophe américain William James. Cela eut pour seul effet de rendre malade ce dernier pendant 24 heures.
Le récit de Mitchell sera lu par le médecin et psychologue britannique Havelock Ellis, l'un des fondateurs de la sexologie. Début 1897, il obtient du peyotl d’une firme pharmaceutique londonienne. Ellis publiera cette année-là et les suivantes trois articles décrivant avec un grand luxe de détails ses expériences du peyotl. Il compare ses visions à des tableaux de Monet, et dans un de ses articles, intitulé "Mezcal: A New Artificial Paradise", il estime que « chaque homme éduqué devrait consacrer au peyotl une après-midi au moins une ou deux fois dans sa vie ». (9)
b) les écrivains et les artistes
Havelock Ellis donnera en avril 1897 du peyotl au grand poète irlandais William Butler Yeats, qui déclara malgré tout préférer le haschisch. Il en fournira également au poète symboliste anglais Arthur Symons qui, lui, sera plus enthousiaste.
Le mage anglais Aleister Crowley prit du peyotl tout au long de sa vie, tout d’abord vraisemblablement lors d’un voyage au Mexique en 1900, puis à Londres à partir de 1907. Lors de performances publiques dans un théâtre de Londres en octobre et novembre 1910 de son rituel Les Rites d’Eleusis, il distribuait aux participants, une boisson à base de décoction de peyotl. (10) En 1915 lors d’un séjour à Détroit, il se procure auprès des laboratoires Parke-Davis une quantité substantielle de peyotl. A Londres, puis à New York durant la Première Guerre mondiale, il donnait des « peyotl-parties ». A l’une d’elles, en 1913 il fournit du peyotl à la poétesse britannique Katherine Mansfield puis en 1917 au romancier américain Theodore Dreiser. Il l’utilisera régulièrement dans ses opérations de magie cérémonielle.
Stanisław Ignacy Witkiewicz (dit aussi Witkacy) dramaturge, peintre, et romancier polonais découvre en 1928 le peyotl qu’il qualifie de drogue métaphysique. Il l’utilisera, ainsi que la mescaline, pendant trois ans pour réaliser d’extraordinaires portraits hallucinés de clients fortunés. Il décrit ses étonnantes visions sous peyotl de façon très détaillée dans son ouvrage Les Narcotiques publié en 1932. Il estime que le peyotl est un narcotique :
« Absolument inoffensif quand on en use de façon sporadique et qui, outre des images visuelles inouïes, procure l’accès aux régions cachées du psychisme ; enfin, il inspire un tel dégoût envers n’importe quel autre narcotique et surtout l’alcool, qu’en raison de la presque absolue impossibilité d’accoutumance on devrait l’employer dans tous les sanatoriums où l’on soigne toute espèce d’intoxication par les narcotiques. » (11)
Le 22 mai 1934, le philosophe et critique allemand Walter Benjamin s’injecte 20 mg de mescaline. Il manifeste une « incroyable sensibilité aux excitations acoustiques et optiques » (12) et réalise trois dessins composés de mots éparpillés sur la page.
L’écrivain allemand Ernst Jünger expérimente la mescaline en janvier 1950 sous le contrôle médical d’un psychiatre dans la maison de son éditeur à Stuttgart. Les participants prennent à trois reprises des doses de plus en plus fortes. Jünger note un puissant afflux d’images et des altérations de la vue et de l’ouïe :
« Le voyage atteint une frontière où l’air accumulé se déchire, comme un amoncellement – et dès ce moment, le véhicule progresse à l’intérieur d’une phase nouvelle : le vol supersonique. C’est comme je l’ai dit, une image grossière, tirée du monde de la physique titanesque, mais elle caractérise cette fringale insatiable et ce goût de l’escalade. A la suite d’une impulsion formidable, la pesanteur est abolie, comme le son. Aux points critiques, ceux aussi de la thermodynamique, il n’y a plus de surenchère, mais des surprises. On peut supposer la présence d’un tel point là où le temps touche l’éternité » (13)
Il renouvellera par la suite deux fois l’expérience accompagné, et une fois seul.
L’écrivain anglais Aldous Huxley, en mai 1953, lors de son séjour en Californie prend 400 mg de mescaline dissoute dans un verre d’eau, sous la direction du psychiatre Humphry Osmond, connu pour avoir inventé le néologisme « psychédélique » . Expérience qu’il renouvellera trois fois les deux années suivantes. Il raconte son expérience dans son célèbre ouvrage Les Portes de la perception paru en 1954. L’acuité et la profondeur du récit de ses expériences et visions psychédéliques et des réflexions et méditations qu’elles engendrent, feront de ce livre et du suivant, Le Ciel et l’enfer, paru deux ans après, des classiques de la contre-culture :
« [Le] bouquet de fleurs brillant de leur propre lumière intérieure, et quasi frémissantes sous la pression de la signification dont elles étaient chargées […] Les livres […] comme les fleurs ils luisaient […] de couleurs plus vives, d’une signification plus profonde. Des livres rouges, semblables à des rubis ; des livres émeraudes ; des livres reliés en jade blanc ; des livres d’agate, […] dont la couleur était si intense, si intrinsèquement pleine de sens, qu’ils semblaient être sur le point de quitter les rayons pour s’imposer avec plus d’insistance encore à mon attention […] Je voyais les livres, mais je ne me préoccupais nullement de leurs positions dans l’espace. Ce que je remarquais, ce qui s’imposait à mon esprit, c’est qu’ils luisaient tous d’une lumière vivante, et que, chez certains, la splendeur était plus manifeste que chez d’autres […] L’espace était toujours là ; mais il avait perdu sa prédominance. Mon expérience effective avait été, et était encore, celle d’une durée infinie, ou bien celle d’un perpétuel présent constitué par une révélation unique et continuellement changeante. » (14)
Les écrivains de la Beat Generation allaient expérimenter les visions induites par le peyotl et la mescaline. Jack Kerouac et William Burroughs prendront du peyotl à Mexico au printemps 1952. Burroughs, qui vivait au Mexique à cette époque, raconte son expérience dans Junkie paru en 1953. Pour lui :
« L’effet du peyotl ressemble à celui de la benzédrine : il empêche de dormir et dilate les pupilles. Tous les objets prennent la forme de boutons de peyotl. » (15)
En octobre 1959 Burroughs, alors à Paris, prend de la mescaline que lui a envoyée Allen Ginsberg, par la poste. Il renouvellera l’expérience les 2 années suivantes. Kerouac prend de la mescaline également en octobre 1959, dans sa maison de Northport, à une heure de New York.
Ginsberg quant à lui a pris du peyotl pour la première fois à San Francisco en octobre 1954. Son célèbre poème Howl, publié en 1956 est inspiré par son expérience. Il prend également de la mescaline quelque temps après et lui consacre un poème dans son recueil Kaddish publié en 1961. (16)
En France
Le premier français à s’intéresser au peyotl est le biologiste-explorateur Léon Diguet qui vécut 9 mois chez les Huichols au Mexique en 1895, où il assiste aux rituels du peyotl qu’il photographie et qu’il décrira dans plusieurs articles. (17) Il y retournera à 2 reprises en 1898 et en 1905.
En 1910, le grand poète Apollinaire entend parler du peyotl et l’évoque ainsi dans un de ses échos :
«... Les visions que donne le mescal sont très particulières : les objets paraissent plus grands qu’ils ne sont en réalité ; leur aspect devient brillant, ils semblent surchargés de pierres précieuses ; on aperçoit des champs de bijoux, des pluies d’or, parfois surgissent toutes les nuances d’une même couleur en une succession rapide. L’air ambiant s’imprègne de parfums exquis. On entend des chants harmonieux. Attendons-nous à voir ce rival du haschich et de l’opium faire bientôt son apparition en Europe. On dit même qu’un poète, retour d’Amérique et qui habite Versailles, aurait rapporté une certaine quantité de mescal et que des expériences auraient déjà eu lieu dans la ville du Roi-Soleil. » (18)
Le pharmacologue Alexandre Rouhier soutiendra en 1926 sa thèse de pharmacie, publiée l’année suivante sous le titre de La Plante qui fait les yeux émerveillés : le peyotl. Il s’agit de la toute première monographie substantielle toutes langues confondues sur la plante sacrée, faisant encore autorité de nos jours. Il commercialisera peu après le Panpeyotl, un extrait mou de peyotl, sous forme de pilules. (19)
En février 1935 Jean-Paul Sartre reçoit, espacées d’une heure, deux injections de 30 cg de mescaline par le Dr Daniel Lagache, à Sainte-Anne, pour ses recherches pour son essai L'Imagination, qui paraîtra l’année suivante, puis sous une forme remaniée en 1940 :
« J'ai pu constater, à l'occasion d'une piqûre à la mescaline que je m'étais fait administrer, un bref phénomène hallucinatoire. Il présentait, précisément, ce caractère latéral : quelqu'un chantait dans une pièce voisine et, comme je tendais l'oreille pour entendre – cessant entièrement, par là même, de regarder devant moi – trois petits nuages parallèles apparurent devant moi. Ce phénomène disparut naturellement dès que je cherchai à le saisir. Il n'était pas compatible avec la pleine et claire conscience visuelle. Il ne pouvait exister qu'à la dérobée et d'ailleurs il se donnait comme tel ; il y avait dans la façon dont ces petites brumes se livraient à mon souvenir, sitôt après avoir disparu, quelque chose à la fois d'inconsistant et de mystérieux, qui ne faisait, à ce qu’il me semble, que traduire l’existence de ces spontanéités libérées sur les bords de la conscience » (20)
Les hallucinations qu’il expérimente inspireront celles de Roquentin dans La Nausée. Sartre fait une dépression en partie provoquée semble-t-il par cette prise de mescaline et qui dura plusieurs mois. Simone de Beauvoir évoque cet épisode, d’une manière un peu différente de celle de Sartre, dans La force de l’âge :
« Sartre me dit d’une voix brouillée que mon appel l’arrachait à un combat contre des pieuvres où certainement il n’aurait pas le dessus […] Il n’avait pas eu d’hallucinations ; mais les objets qu’il percevait se déformaient d’une manière affreuse : il avait vu des parapluies-vautours, des souliers-squelettes, de monstrueux visages ; et sur ses côtés, par derrière, grouillaient des crabes, des poulpes, des choses grimaçantes. » (21)
Cette expérience de Sartre retiendra l’attention de Merleau-Ponty, qui sans avoir expérimenté la mescaline, écrira en 1945 dans sa Phénoménologie de la perception que :
« L'intoxication par la mescaline, parce qu'elle compromet l'attitude impartiale et livre le sujet à sa vitalité, devra donc favoriser les synesthésies. En fait, sous mescaline, un son de flûte donne une couleur bleu vert, le bruit d'un métronome se traduit dans l'obscurité par des taches grises, les intervalles spatiaux de la vision correspondant aux intervalles temporels des sons, la grandeur de la tache grise à l'intensité du son, sa hauteur dans l'espace à la hauteur du son. » (22)
Antonin Artaud voyage au Mexique en 1936 où il assiste en septembre chez les Indiens Tarahumaras au rituel du peyotl qu’il sera autorisé à consommer. Il publiera sur ce rituel deux articles en 1937 qu’il reprendra et complètera dans un petit ouvrage paru en 1945 D'un voyage au pays des Tarahumaras. Un dernier article paraîtra en 1947. Artaud ne donne aucuns détails sur ce qu’il a ressenti après l’ingestion du cactus, si ce n’est qu’il s’est endormi rapidement. Il décrira en revanche minutieusement les danses, le rituel et son sens initiatique :
« Prendre ses rêves pour des réalités voilà – ce dans quoi le Peyotl ne vous laissera jamais sombrer – où confondre des perceptions empruntées aux bas-fonds fuyants, incultes, pas encore mûrs, pas encore levés de l'inconscient hallucinatoire avec les images, les émotions du vrai. Car il y a dans la conscience le Merveilleux avec lequel outrepasser les choses. Et le Peyotl nous dit où il est et à la suite de quelles concrétions insolites d'un souffle ataviquement refoulé et obturé le Fantastique peut se former et renouveler dans la conscience ses phosphorescences, son poudroiement. ..» (23)
Henri Michaux fait sa première expérience mescalinienne chez lui, le 2 janvier 1955 avec la poétesse suisse Edith Boissonnas et Jean Paulhan qui a obtenu des ampoules de 0,1 gr de mescaline du neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra. Ils en prennent une chacun. Ils renouvelleront l’expérience le lendemain puis la semaine suivante. Paulhan participera à deux de ces trois séances chez Michaux. Dans un rapport que Paulhan fait de cette expérience, en février 1955, il décrit ainsi ses visions :
« Quel que fût l’objet que je regardais – tableau, statuette de bois ou même livre – il me paraissait pris soudain d’une grande agitation intérieure : grande et cependant régulière : en ce sens qu’il commençait à s’avancer vers moi ou se reculait au contraire par une suite d’élans ou de vagues […] Dans le même temps tout ce qui entourait l’objet dont j’avais fait choix […] me paraissait, si peu que je le visse, atteint d’une sorte de ruine soit en train de se fendre et se craqueler, sur le point de tomber en morceaux, soit brusquement enflammé et perdant dans les flammes ses lignes et ses traits distinctifs […] C’était par-dessus tout la joie de comprendre. Il me semblait avoir trouvé un principe d’explication universel, d’où découlât l’immense variété des événements du monde. » (24)
Paulhan malgré une expérience « à tout prendre agréable et curieuse » déclare ne pas éprouver le désir de la renouveler, car il lui semble qu’elle « ne m’apprendra rien de nouveau » étant porté « par nature, à vivre de mon propre fonds et me contenter de mes idées ».
Michaux, quant à lui, raconte ses premières expériences dans son livre Misérable miracle paru début 1956. Suivront l’année suivante L’Infini turbulent puis Paix dans les brisements (1959), Connaissance par les gouffres (1961) et Les Grandes épreuves de l’esprit en 1966. Les trois premiers titres seront illustrés de dessins à l’encre de chine. Michaux en effet réalise de 1955 à 1960 des centaines d’écritures et de dessins mescaliniens qu’il réalise quelques fois pendant les prises, le plus souvent après. Michaux manifestera un sentiment d’ambivalence dans ses écrits sur ses expériences mescaliniennes. Il juge la mescaline « pas fiable, pas maniable », peut-être était-ce dû à une erreur de dosage qu’il fit lors de sa quatrième prise en juin 1955 où il prit le « sextuple de la dose suffisante pour moi », c’est à dire 0,6 gramme. Le misérable miracle se transformera alors en « effroyable miracle ». Pour lui la mescaline :
« Diminue l’imagination. Elle châtre l’imagination, la désensualise. Elle fait des images cent pour cent pures. Elle fait du laboratoire. […] Aussi est-elle l’ennemie de la poésie, de la méditation, et surtout du mystère. […] La Mescaline est un trouble de la composition […] Liée au verbal, elle rédige par énumération. Liée à l’espace et à la figuration, elle dessine par répétition. Et par symétrie. » (25)
Il se dit déçu par le clinquant des hallucinations qu’il qualifie de « sotte imagerie », de « verroterie ». Mais en même temps la mescaline exerce sur lui une véritable fascination par ses effets sur la pensée qu’elle accélère et fragmente. Cela ne l’empêchera pas, en effet, de prendre de la mescaline une vingtaine de fois, jusqu’en 1960 et de lire toute la littérature scientifique sur la question. En juillet 1958, par l’intermédiaire de Jean-Jacques Lebel il rencontrera les principaux écrivains de la Beat Generation, dont Ginsberg et Burroughs qui résidaient alors à Paris au « Beat Hotel » rue Gît-le-Cœur. Ils débattront de littérature et des effets de la mescaline sur le psychisme.
Recherches thérapeutiques
La recherche médicale allait s’intéresser à cette nouvelle molécule. Dès 1913, les neurobiologistes newyorkais Alwyn Knauer et William Maloney, chercheurs à la Kräpelin Clinic à Munich publiaient un rapport dans le Journal of Nervous and Mental Disease sur les effets de la mescaline qu’ils injectent à des doses allant jusqu’à 200 mg, à dix volontaires. (26)
Parmi les principaux travaux de l'entre-deux-guerres, citons ceux du psychiatre et neurologue allemand Kurt Beringer qui publie en 1927 un ouvrage Der Meskalinrausch où il présente les effets de la mescaline injectée à des doses pouvant aller jusqu’à 600 mg à 32 patients lors de 60 sessions. (27) Le docteur Raymond Briau, en 1928, consacre sa thèse au rôle du peyotl pour soigner les états anxieux. (28)
Le neurologue roumain Georges Marinesco publie en 1933 le protocole de deux peintres à qui il injecte, en plusieurs fois, respectivement 33 et 50 cg de mescaline. (29)
Les psychiatres français Henri Claude & Henri Ey décrivent, dans un article publié en 1934, le potentiel thérapeutique de la mescaline pour le traitement de la dépression. (30)
En 1936 le psychiatre italien Giovanni Enrico Morselli ingère 0,75 gr de mescaline pour tenter de comprendre les mécanismes de la schizophrénie. Le récit de son expérience intéressera vivement Michaux. « La remarquable expérience qu'a faite sur lui-même le Dr Morselli […] où, ayant pris 0,75 gr. de mescaline, il subit si fort l'assaut des impulsions perverses qu'il dut se réfugier en clinique…» (31)
Pendant la Seconde Guerre mondiale, à Dachau, des médecins injectent de la mescaline à trente prisonniers pour examiner l'utilité de cette molécule dans la conduite des interrogatoires.
Après la seconde guerre mondiale les travaux sur la mescaline vont se poursuivre.
Le psychiatre et neurologue Jean Delay, titulaire de la chaire de la clinique des maladies mentales à Sainte-Anne cosignera de 1948 à 1956 sept articles sur l’action de la mescaline. Selon lui, elle provoque une dissociation de la personnalité qui ressemble à celle que l’on rencontre dans la schizophrénie. (32)
En 1952 le psychiatre anglais Humphry Osmond administre de la mescaline à ses patients du Weyburn Mental Hospital dans la province du Saskatchewan (Canada) et note les similarités entre les molécules d’adrénaline et de mescaline, lui permettant de comprendre les mécanismes de la schizophrénie.
En 1955 le psychiatre américain Louis Berlin (33) et les italiens Giuseppe Tonini et Corrado Montanari font chacun de leur côté des expérimentations en administrant de la mescaline à des artistes. (34)
La même année Marie-Thérèse Wilhelm soutient sa thèse de médecine sur l’Intérêt de l'épreuve mescalinique dans les maladies mentales. Michaux citera son travail et ira assister à ses consultations psychiatriques de malades à l’hôpital de Colmar. (35)
Mais le classement du peyotl et de la mescaline comme psychotropes par les conventions internationales dans les années 1970 allaient presque totalement stopper toutes les recherches scientifiques.
De nos jours, au Mexique, les Indiens Huichols, ainsi que, dans une moindre mesure maintenant, les Tarahumaras, les Coras et les Yaquis, en font encore un usage rituel. Le peyotl est pour ces Indiens un remède magique qui soigne les maladies tant physiques que psychiques : antivenimeux contre les piqûres de serpents et de scorpions, les rhumatismes, les hémorragies, les fièvres et les infections…
Aux États-Unis, pour les Indiens Apaches Mescaleros, les Comanches, les Navajos, et les Kiowas, principalement, le peyotl est considéré comme un sacrement religieux. En 1918, fut créé dans l’Oklahoma, la Native American Church. Elle rassemble de nos jours environ 300.000 membres provenant d’une cinquantaine de tribus différentes. Depuis 1994, ses membres sont autorisés à faire usage du peyotl dans leurs cérémonies religieuses.
Dans les années 70 des études thérapeutiques ont étés menées au sein de ces populations pour traiter avec succès l'alcoolisme. (36) Il est à noter qu’en Belgique et en Suisse on trouve une préparation homéopathique à base de peyotl du nom de Anhalonium 9 CH et en Allemagne, Anhalonium Lewinii D 30, pour traiter les états de choc émotionnel, la dépression ainsi que l’œdème aigu du poumon, ou encore l'emphysème…
LA CHAIR DES DIEUX : des champignons hallucinogènes à la psilocybine
Les psilocybes (du mot grec signifiant tête chauve) sont des petits champignons basidiomycètes et saprophytes de la famille des Strophariaceae et de l’ordre des Agaricales et qui comptent près de 150 espèces possédant des propriétés hallucinogènes, réparties sur tous les continents. Ils se caractérisent par un chapeau brun jaunâtre, en forme de clochette le plus souvent, de 2 à 9 cm de diamètre, suivant les espèces et un pied grêle de quelques millimètres de diamètre et de 5 à 15 cm de haut. Ce sont les plus connus des champignons hallucinogènes. Une douzaine d’autres familles de champignons, autres que les psilocybes, et comprenant plus de 70 espèces, possèdent également des propriétés hallucinogènes.
Leur usage est connu depuis la préhistoire : dans la plaine du Tassili au Sahara algérien, une centaine de peintures rupestres et des pétroglyphes datant de 7000 à 4500 av. J.C. représentent des champignons présentant des caractéristiques similaires à celles des psilocybes.
Des représentations rupestres similaires ont étés retrouvées à Villar del Humo dans la province de Cuenca en Espagne, sur le site de Selva Pascuala et qui dateraient de 6000-4000 av. J.C.
Au musée du Louvre se trouve un bas-relief dénommé « L’exaltation de la fleur » provenant de la région de Pharsale (Grèce), datant de la seconde moitié du Vème siècle av. J.C. Il représenterait, selon certains chercheurs, les deux déesses des rites d’Eleusis, Perséphone et Déméter s’échangeant des champignons de la forme d’un psilocybe.
En Chine et au Japon est attesté l’usage très ancien de "champignons qui font rire" dénommés xiaojun en Chine et waraitake au Japon. La plus ancienne mention en Chine date du IIIème de notre ère, elle est dûe à l’écrivain chinois Zhang Hua dans son recueil de contes Bowuzhi (Recueil de divers sujets). Au Japon, on les trouve mentionnés au XIème siècle dans un recueil de contes le Konjaku Monogatarishū (Recueil de contes du passé). Selon les botanistes il s’agirait de variétés de champignons hallucinogènes de type Gymnopilus junonius (ou Spectabilis) ou Panaeolus papilionaceus (ou campanulatus). (37)
En France, plusieurs églises romanes, l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Indre), l’église Saint Martin de Vic (Indre) et la chapelle Saint-Gilles de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) possèdent des peintures murales datant du XIIème siècle où sont clairement représentés des arbres-champignons. Sur le chapiteau du XIIème siècle représentant David et Goliath de la basilique Sainte-Madeleine à Vézelay (Yonne) on trouve également des champignons. Toutes ces représentations présenteraient selon certains chercheurs, notamment Giorgio Samorini, les caractéristiques de champignons hallucinogènes de type psilocybien. (38)
Dans le sud de Panama, au Costa-Rica, mais plus particulièrement dans le nord et l’ouest de la Colombie, ont étés découverts lors de fouilles des pectoraux en or appelés « pectoraux de Darien », de 2 à 17 cm de haut, de la période Yotoco de la culture Calima (100 av. J.C. à 900 ap. J.C.) représentants des personnages portant des coiffes ceintes de champignons présentant les caractéristiques des psilocybes. Des objets en or appartenant à la culture Quimbaya (400-700 ap. J.C.) avec des représentations similaires ont été également mis à jour en Colombie centrale.
Mais c’est au Mexique qu’on trouve le plus grand nombre d’espèces de champignons hallucinogènes (environ 80), dont une cinquantaine de variétés de psilocybes, et qui sont encore consommés rituellement de nos jours, principalement dans le centre et le sud du pays, et plus particulièrement dans l’état de Oaxaca, chez les Indiens Nahuas, Mixtèques, Mixes, Mazatèques, et Zapotèques.
Un véritable culte s’est développé autour des champignons magiques, et ce dès avant notre ère. Des poteries représentant des chamanes avec des champignons ayant les caractéristiques des psilocybes ou les arborant sur leur tête, ont étés découverts dans l’état de Veracruz appartenant à la culture Remojadas (300 av. J.C.), dans l’état de Colima (100-300 ap. J.C.), ainsi que dans l’état de Jalisco appartenant à la culture Zacatecas (100-200 ap. J.C.). Des pierres sculptées représentant des figures anthropomorphes ou zoomorphes surmontées d’un champignon, d’une trentaine de cm de hauteur ont étés découvertes lors de fouilles principalement au Guatemala, mais aussi au Honduras, au Salvador et au Mexique (1000 av. J.C. à 600 apr. J.C.).
Le médecin et botaniste espagnol Francisco Hernandez (1515-1587) est le premier Occidental à révéler l’existence de rituels aztèques où l’on ingérait des champignons hallucinogènes appelés *Teonanacatl* (nom nahuatl signifiant chair des Dieux ou selon d’autres sources, champignon sacré ou merveilleux) dans son ouvrage De historia plantarum Novae Hispaniae, écrit lors de son séjour au Mexique entre 1572 et 1577 et publié posthumément en 1790. Il y écrit que l’ingestion de ces champignons provoque une sorte de folie chez les Indiens qui se manifeste par des rires convulsifs. (39)
Dans sa monumentale Histoire générale des choses de la nouvelle-Espagne, achevée en 1577, mais qui ne sera publiée qu’en 1829, à partir du codex de Florence, le frère franciscain Bernardino de Sahagún (1499-1590) décrit de façon assez précise ce champignon qui :
« Pousse sous le foin dans les champs et dans les déserts. Il est rond ; son pied est haut, mince et cylindrique. Il a mauvais goût, fait mal à la gorge et enivre. Il est médicinal contre les fièvres et la goutte. On en mange deux ou trois, pas davantage. Il cause des hallucinations et des angoisses précordiales. »
Sahagún décrit également le rituel et les visions qu’il procure:
« La première chose que l’on mangeait pendant la fête c’étaient des petits champignons noirs qu’on appelle nacatl, qui ont la propriété d’enivrer, de causer des hallucinations et même de provoquer à la luxure. Ils les mangeaient avant qu’il fît jour et ils prenaient aussi du cacao avant l’aurore. On mangeait les petits champignons avec du miel et quand on se sentait échauffé par leur influence, on commençait à danser. Quelques-uns chantaient, d’autres pleuraient parce qu’ils étaient ivres. Il y en avait qui restaient sans voix, s’asseyaient dans l’appartement où ils se tenaient comme absorbés. Les uns se sentaient mourir et pleuraient dans leur hallucination ; d’autres se voyaient manger par une bête féroce ; d’autres encore se figuraient capturer un ennemi dans la mêlée ; celui-ci qu’il serait riche, celui-là qu’il aurait un grand nombre d’esclaves. Il y en avait qui, se croyant pris en adultère, supposait qu’on leur écraserait la tête pour ce méfait, ou qu’ils se rendraient coupables de quelques larcins pour lesquels on leur donnerait la mort… et mille autres visions encore. Lorsque l’ivresse avait passé ils s'entretenaient entre eux de leurs hallucinations. » (40)
La première ingestion non intentionnelle de champignons hallucinogènes documentée en Occident date de 1799. Cette année là une revue médicale anglaise publia le compte-rendu d’un médecin sur les effets d’une intoxication par toute une famille avec des champignons ramassés dans un parc de Londres. Des mycologues contemporains prenant connaissance de ce compte rendu en conclurent qu’ils devaient s’agir de Psilocybe semilanceata. Aux Etats Unis, la revue Science de septembre 1914 décrit les hallucinations et les fous rires incontrôlés d’un botaniste américain du Maine et de sa nièce, après ingestion d’une grande quantité de champignons, caractéristiques d’une intoxication psilocybienne. (41)
Mais c’est le médecin et ethnobotaniste autrichien Blas Pablo Reko qui le premier, en 1919, affirme qu’au Mexique on consomme encore rituellement des champignons hallucinogènes. (42) En 1923 il écrit à la Smithsonian Institution pour les en informer, mais sa lettre resta sans suite. Un jeune étudiant de Harvard du nom de Richard Evans Schultes tombe sur cette lettre en 1936. Il écrit à Reko qui lui envoie par la poste, pour identification un lot de champignons qu’il avait obtenu par Robert Weitlaner, un anthropologue autrichien, qui malheureusement arrive détérioré. En 1938 Schultes se rend avec Reko à Huautla de Jimenez, un petit village de l’état de Oaxaca où Weitlaner s’était procuré les champignons. Il y retourne l’année suivante et explore toute la région aux alentours. Il put recueillir notamment de nombreux spécimens de champignons, dont une variété de Panaeolus et des Psilocybes cubensis. Schultes publie le résultat de ses recherches dans deux articles parus en 1939 et en 1940 dans lesquels il confirme la persistance d’un culte autour du teonanacatl. (43) Le 16 juillet 1938, l’anthropologue américain Jean Bassett Johnson est le premier occidental à assister à Huautla de Jimenez, en compagnie de la fille de Weitlaner, à une velada (cérémonie rituelle) au cours de laquelle un curandero (guérisseur) ingéra des champignons hallucinogènes. Il publiera 3 articles en 1939 et 1940 sur ses découvertes. (44)
Mais la guerre allait interrompre la redécouverte de ce culte.
Il revient à l’ethnomycologue américain Robert Gordon Wasson, par ailleurs vice-président de la banque J.P. Morgan, d’avoir fait connaître dans le monde entier le champignon sacré. Il fut mis sur la piste par le poète Robert Graves qui lui avait signalé en 1952 le premier article de Schultes paru en 1939. Wasson effectua avec son épouse Valentina un premier voyage à l’été 1953 au Mexique dans l’état d’Oaxaca chez les Indiens Mazatèques pour recueillir des spécimens de champignons. Il y retourne seul l’année suivante. Ce n’est que l’année suivante, le 29 juin 1955, dans le petit village de Huautla de Jiménez où il fait la rencontre de la curandera Maria Sabina, que Wasson put assister, à une velada au cours de laquelle, en compagnie du photographe Allan Richardson, ils ingèrent six paires de Psilocybe caerulescens chacun, devenant ainsi les premiers Occidentaux à avoir consommé rituellement le champignon magique. Ils renouvellent l'expérience trois jours après. Le 5 juin sa femme Valentina et leur fille de 18 ans les rejoignent et consomment à leur tour les champignons magiques. Le 12 août, de retour à New York, Wasson renouvelle l’expérience. Il publie le récit de ses expériences dans un article du magazine Life du 13 mai 1957. Valentina fera de même dans un autre magazine quelques jours après. (45) L’article de Life allait rendre célèbre le village de Huautla de Jiménez, attirant un grand nombre de visiteurs. Dans les années 60, dit-on, de nombreuses personnalités firent le pèlerinage de Huautla de Jiménez, pour la rencontrer. Parmi elles, on cite les noms de John Lennon, Bob Dylan, ou Mick Jagger.
Les champignons récoltés par le couple Wasson lors de ses premiers voyages sont envoyés à Paris à Roger Heim, qui était un des plus grands mycologues de son temps. Il dirigeait le laboratoire de Cryptogamie du Muséum national d’Histoire naturelle, et avait fondé La Revue de mycologie. Heim publie en février 1956 le tout premier article jamais paru rapportant l’expédition de Wasson et la première description botanique précise de certains de ces champignons, dont une espèce inconnue jusqu’alors qu’il nomme Psilocybe mexicana, nom qu’elle porte encore de nos jours, sous la dénomination botanique de Psilocybe mexicana Heim. (46) Ces champignons, ainsi que ceux qu’il récolte lui-même au cours de son voyage au Mexique à l’été 1956 en compagnie de Wasson, furent mis en culture dans son laboratoire au Muséum. Peu de temps auparavant, le 18 mai 1956 au Muséum il avait testé sur lui, avec cinq carpophores frais de Stropharia cubensis, les effets de ces champignons. Il renouvelle l'expérience chez Maria Sabina, le 9 juillet suivant avec Wasson et l’anthropologue Guy Stresser-Péan, cette fois-ci avec plusieurs paires de Psilocybe caerulescens, puis l’année suivante au Muséum avec 32 exemplaires frais de Psilocybe Mexicana. (47) Ces cultures dans son laboratoire, à partir de ses récoltes sur le terrain au Mexique où il retournera avec Wasson en 1959 et 1961, lui permirent d’identifier, le premier, une vingtaine de nouvelles espèces de champignons hallucinogènes mexicains, dont plusieurs portent son nom. Lors de son voyage en 1961, il tournera avec Pierre Thévenard un documentaire couleur de 2 h 20 Les champignons hallucinogènes du Mexique, dans lequel est filmée notamment, pour la première fois, une cérémonie d’absorption de champignons par Maria Sabina ainsi que des protocoles d’expérimentateurs. Le film sera projeté en public en mai 1965 au Musée de l’Homme en présence notamment de Henri Michaux. Heim publiera, avec Wasson en 1958, l’ouvrage fondamental : Les champignons hallucinogènes du Mexique, ainsi qu’une quarantaine d’articles de 1956 à 1972 sur cette question.
En 1957, Heim avait envoyé un lot de 100 gr de champignons pour identification chimique de leurs composants au chimiste suisse Albert Hofmann du laboratoire Sandoz à Bâle. Ce dernier était célèbre pour avoir découvert et synthétisé en 1943 le LSD à partir de l’ergot de seigle. Hofmann commença par tester sur lui les effets des champignons. Les analyses effectuées par lui sur ce lot de champignons lui permirent, début 1958, d'identifier la structure chimique de deux de ses composants psychoactifs de la classe des tryptamines: la psilocine et la psilocybine qui agissent sur les récepteurs à la sérotonine du système nerveux central. (48) L’année suivante, Sandoz allait fabriquer et commercialiser des ampoules ainsi que des comprimés de 2 mg et de 5 mg de psilocybine pure sous le nom de Indocybin (ou CY-39) et ce jusqu’en 1965, date de sa réglementation aux Etats-Unis.
A l’automne 1962 Hofmann accompagnera Wasson au Mexique. A l’occasion d’une velada il donnera 6 pilules, soit 30 mg de psilocybine à Maria Sabina qui, après les avoir testées, déclara que « les pilules avaient la même puissance que les champignons, qu’il n’y avait pas de différence. » En cadeau d’adieu, Hoffman laissa à Maria Sabina un flacon de pilules. Ravie, elle expliquera que « cela lui permettrait de donner des consultations même dans les périodes où il n’y avait pas de champignons » (49)
Dès 1953 Morse Allen, le directeur du projet Artichoke, programme de la CIA dédié aux techniques d'interrogatoire, apprend l’existence de champignons hallucinogènes au Mexique. Il envoie des scientifiques sur le terrain pour tenter de trouver ces champignons et prend contact avec un des plus gros producteur de champignons des Etats Unis dans le but de les faire cultiver à grande échelle. En 1955, la CIA tentera de s’attacher les services de Wasson, qui refusera...
Les psychonautes : les premiers utilisateurs écrivains et artistes
Le 11 avril 1959 Henri Michaux grâce à l’entremise de Roger Heim, se rend à l’hôpital Sainte-Anne pour prendre 10 mg de psilocybine Sandoz, sous le contrôle des professeurs Jean Delay et Pierre Pichot. Une deuxième expérience suivra quelque temps après, seul chez lui, avec 4 mg. Il décrira ses expériences dans un article des Lettres nouvelles de décembre 1959, qui sera repris peu après dans La Revue de mycologie. Cet article formera le second chapitre de son livre Connaissance par les gouffres paru en 1961. Il lui reproche notamment de supprimer :
« Le sentiment aventureux, elle coupe de l’avenir, elle supprime la disposition féline à faire face aussitôt à tout ce qui peut venir à l’improviste. Elle élimine le chasseur en l’homme, l’ambitieux en l’homme, le chat en l’homme. Elle démobilise […] Moins forte en spectacles que la mescaline ou que l’acide lysergique, la psilocybine est étonnante par les transformations intérieures. On assiste à cette curiosité d’un comprimé qui se change en exhortation. » (50)
Dans une lettre de remerciements à Roger Heim, il décrit les effets ressentis lors de cette première prise de psilocybine :
«...J’ai bientôt fait le plongeon et dû lutter dans une forte déréalisation pour garder une conscience, constamment combattue. Mais, point important et phénomène rare, je n’ai eu à aucun moment d'impression angoissante, inquiétante, dramatique, ou déplaisante ou euphorique. Tout se passait dans une grande diminution de l'impressionnabilité... »
Il concluait sa lettre en la qualifiant de « drogue qui ne nous veut pas de mal. » (51)
Dans le protocole qui a été rédigé de cette expérience, Michaux considère que c’est une drogue « qui est trop bonne pour [lui] », qu’il n’arrivera pas « à avoir une révérence pour cette drogue. Peut-être ne m’a-t-elle pas fait assez de visions. » (52)
En août 1960 l’écrivain et psychologue Timothy Leary, alors conférencier au département de psychologie de l’université de Harvard, prend des psilocybes au Mexique. Enthousiasmé par son expérience, il décide de retour à Harvard d’en faire son sujet d’étude. Il passe une commande de plusieurs flacons contenant chacun 500 pilules de 2 mg de psilocybine pure aux laboratoires Sandoz et crée le Harvard Psilocybin Project. Dans les quatre mois qui suivirent Leary prendra de la psilocybine une cinquantaine de fois. Pendant un peu plus de deux ans Leary et ses collègues l'administreront à 32 prisonniers de la prison de Concord (Mass.) pour évaluer si elle permettrait de réduire le taux de récidive. il renouvelera l'expérience auprès de 200 volontaires, parmi lesquels des étudiants, ainsi que des intellectuels, des écrivains et artistes célèbres de l’époque et ce, jusqu’à son éviction de l’université en mai 1963. Parmi ces artistes, des peintres tels que Willem de Kooning, le poète LeRoi Jones, ou les jazzmen Dizzy Gillespie et Thelonious Monk.
Parmi les écrivains, citons Aldous Huxley qui prend 10 mg de psilocybine en novembre 1960 à Harvard avec Leary. Il renouvellera seul l’expérience chez lui en janvier 1962 avec une dose de 4 mg. La psilocybine inspirera son dernier roman Île dans lequel les habitants prennent une substance appelée moksha à base de champignon qui apporte « l’expérience mystique intégrale ».
Allen Ginsberg quant à lui en prendra 36 mg fin novembre 1960, dans la maison de Leary, à Newton près de Boston. Il se prendra pour Dieu et voudra téléphoner à Kennedy et à Khrouchtchev pour leur faire part de son euphorie...
L’écrivain Arthur Koestler fait une première expérience en novembre 1960 à l’université du Michigan à Ann Arbor avec une dose de 18 mg. Il renouvellera l’expérience chez Leary une semaine après. Il décrit ses expériences, qui furent pour lui déplaisantes, dans un article du Sunday Telegraph de mars 1961. (53)
Jack Kerouac lui, prend de la psilocybine chez Ginsberg à New York en janvier 1961. Il décrit son expérience dans une lettre à Leary dans laquelle il déclare s’être senti « comme un Gengis Kahn flottant sur un tapis magique. » (54) Il renouvelle l’expérience en décembre de la même année, cette fois-ci avec des psilocybes.
En mars 1961 à Paris, William Burroughs prend la psilocybine que Leary lui a envoyée par la poste. L’expérience ne fut pas pour lui une réussite. Il en reprend néanmoins, l’été 1961 à Tanger, en compagnie de Ginsberg, et de Leary qui venait d’arriver avec sa provision de pilules. Burroughs déclara finalement ne pas aimer les drogues hallucinogènes, et cessera d’en prendre fin 1961. Ginsberg quant à lui s'embarqua pour son voyage en Inde en 1962 avec un flacon de pilules de mescaline et un flacon de psilocybine.
Au printemps 1962, Ernst Jünger prend avec Albert Hofmann 2-3 champignons psilocybes (Hofmann parle lui de 20 mg de psilocybine). Il décrit son expérience ainsi :
« Tout était membrane et percevait des attouchements, même ma rétine – sur laquelle le contact se changeait en lumière. Lumière multicolore ; elle s’ordonnait en cordons qui oscillaient doucement, colliers en perles de verre des entrées orientales. Elles s’assemblent en portières comme on en traverse en songe, rideaux de volupté et de danger. » (55)
Recherches thérapeutiques en France
Le psychiatre et neurologue Jean Delay, titulaire de la chaire de la Clinique des maladies mentales et de l'Encéphale à Sainte-Anne, est le premier à expérimenter la nouvelle molécule qu’il reçoit des laboratoires Sandoz, en juillet 1958, dans son service à Sainte-Anne. Il administre des doses de 10 mg en moyenne à 26 sujets normaux et 56 malades mentaux, lors de 92 protocoles, pour en évaluer les possibilités thérapeutiques. Dans ses conclusions, il constate que « sur le plan psychique la psilocybine produit un état oniroïde avec dissolution des synthèses mentales, apparition de phénomènes psycho-sensoriels, libération de réminiscences et modifications de l’humeur ». Il cosignera de 1958 à 1963 huit articles sur la psilocybine. (56) En 1958, il teste sur lui la psilocybine et en raconte les effets dans un entretien paru dans Le Figaro Littéraire :
« J’ai eu une période de vision colorée et vu cette aura violette qu’on trouve chez Plotin, chez Nerval (« Rose au coeur violet »), chez Rimbaud. A ce moment-là, je percevais la couleur avec une telle force affective que je pensais : Si je pouvais peindre ce violet, je donnerais le bonheur au monde ! J’étais dans un monde magique.»
Il raconte s’être senti transporté dans le passé : « Cela a été soudain une prodigieuse résurrection du passé, un passé lointain, remontant à 1917, où j’étais un enfant qui avait moins de dix ans. [...] Les souvenirs se sont enchaînés avec une charge affective, une intensité que je ne connais pas dans mon état habituel » (57)
Une de ses élèves, Anne-Marie Quetin, soutient à Paris en 1960 la première thèse de médecine sur La Psilocybine en psychiatrie clinique et expérimentale. Elle poursuit et amplifie l’étude entreprise par Delay en 1958. Son travail porte sur 114 protocoles réalisés sur 29 sujets normaux (24 hommes et 5 femmes) et 72 malades (64 femmes et 8 hommes). La dose moyenne utilisée est de 10 mg, soit en comprimés, soit en solution injectable. Parmi les 5 auto-observations qu’elle publie réalisées par les sujets normaux, figure, anonymement, celle d’Henri Michaux. Parmi les 61 malades mentaux (68 protocoles retenus) : 18 étaient schizophrènes, 6 des délirants chroniques, 5 des débiles mentaux, 5 étaient atteints de psychoses maniaco-dépressives et 29 de névroses et/ou de psychonévroses. La psilocybine, constate-t-elle, provoque chez les malades « l’évocation de souvenirs et d’affects très sévèrement réprimés ». Elle conclut son travail estimant que la psilocybine peut-être « envisagée comme l’une des méthodes chimiques d’exploration du psychisme des malades. » (58)
Un autre élève de Delay, René Robert, soutient en 1962 sa thèse de médecine qui portait sur la Contribution á l’étude des manifestations neuro-psychiques induites par la psilocybine chez le sujet normal. René Robert avait participé pendant trois ans aux travaux du Département d’art psychopathologique créé en 1954 par le Docteur Volmat dans le Service du Professeur Delay. Cette expérience lui fournit le sujet de sa thèse, qui analyse 35 protocoles réalisés dans les années 1960-61 chez 29 artistes amateurs ou professionnels, dont 5 patients de Sainte-Anne. Parmi les artistes déjà réputés à l’époque on peut reconnaître les noms, notamment, de Jean-Jacques Lebel, Daniel Pommereulle ou Philippe Hiquily. Citons encore les noms du poète Jacques Sennelier et du réalisateur Guy Saguez. Les doses administrées lors des protocoles étaient en moyenne de 10 mg de psilocybine sous forme de comprimés dosés à 2 mg. Les artistes commençaient leurs œuvres à leur domicile ou dans leur atelier, dès la prise de l’hallucinogène. 140 tableaux furent ainsi exécutés, certains artistes en réalisant plusieurs au cours d’une même session ou, pour certains, au cours de deux sessions successives. 43 tableaux furent réalisés les jours suivant l’expérience. (59)
Michaux lira avec intérêt la thèse de René Robert. Dans une lettre à Roger Heim il estime qu’elle avait la nouveauté de montrer que :
« Contrairement à ce qu’auraient pensé les naïfs, l’activité, l’intervention artistique contrarie, submerge et même exclut l’hallucination, les illusions et la plupart des visions fantastiques car elle est action. De l’action dans ces moments, il ne faut user que par intervalles, délicatement, subtilement. Sinon elle prend toute la place, une place pas trop bonne. » (60)
Études thérapeutiques récentes :
a) Aux Etats-Unis
En 2001, la première étude depuis 30 ans débute au sein de l’University of Arizona Medical Center à Tucson, où on utilise la psilocybine pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs. En 2006, Francisco Moreno et ses collègues publient les résultats de leur étude portant sur 9 sujets, qui montre une réduction sensible de ces troubles sous psilocybine. (61) Depuis, d’autres études ont suivi.
Au sein du Harbor–UCLA Medical Center à Los Angeles, on a administré, sous la supervision de Charles Grob, de 2004 à 2008 de la psilocybine à 12 patients atteints de cancers en phase avancée. L’étude publiée début 2011 montre une amélioration certaine des états d’anxiété et de dépression. (62)
A la Johns Hopkins University à Baltimore plusieurs études ont été menées sur les potentialités de la psilocybine. Une première étude dirigée par Roland R. Griffiths a été publiée en 2008 portant sur 36 volontaires à qui l’on a administré, au cours de 2 ou 3 sessions à 2 mois d’intervalle, de 0 (placebo) à 30 mg de psilocybine. 14 mois après, à partir d’un questionnaire très détaillé, 67 % des participants rapportaient que l'expérience avait été l'une des « cinq plus importantes de leur vie. » 60 % indiquent avoir ressenti « une expérience mystique totale. » (18) 79 % continuaient à faire état d'une amélioration significative de leur existence et de leurs relations avec autrui. (63)
En 2011, une nouvelle étude du même genre toujours dirigée par Roland R. Griffiths porte sur 18 volontaires. 39 % déclarent avoir expérimenté des états d’angoisse tandis que 72 % d’entre eux déclarent avoir expérimenté des états de type mystique. (64)
La même année, une étude dirigée par Katherine A. MacLean a été menée sur 52 volontaires. Les résultats de l’étude indiquaient qu’un an après leurs expériences 60 % des participants constatent une modification de leur personnalité dans le sens d’une plus grande ouverture d’esprit. (65)
Une autre étude publiée en 2014 menée par Matthew Johnson montre les résultats très positifs de l’administration de psilocybine pour soigner l’addiction au tabac. Elle portait sur 15 gros fumeurs à qui on a administré de la psilocybine pendant 3 sessions espacées de plusieurs semaines. Le taux d’abstinence au bout de 6 mois s’élevait à 80%, ce qui constitue un taux bien plus élevé qu’avec les méthodes classiques de sevrage. (66)
Les résultats d’une nouvelle étude dirigée également par Roland R. Griffiths portant sur 51 malades atteints de cancer ont été publiés en 2016. Elle a porté plus particulièrement sur les états modifiés de conscience induits par la psilocybine, et leur impact sur la détresse psychologique et la spiritualité. (67)
Au McLean Hospital à Belmont (MA) qui dépend de Harvard, une enquête dirigée par Richard Andrew Sewell a été menée en 2006 sur 53 patients atteints d’algie vasculaire de la face qui avaient utilisé de la psilocybine ou du LSD pour calmer leur douleur. 22 utilisateurs de la psilocybine sur 26 ont déclaré qu’elle stoppait leurs attaques algiques. 25 ont indiqué qu’elle avait permis la fin de la période de crise de ces céphalées et 18 utilisateurs de la psilocybine sur 19, un rallongement de la période de rémission. (68)
A l’University of New Mexico à Albuquerque, une étude a été menée en 2015 sous la supervision de Michael P Bogenschutz portant sur 10 volontaires alcooliques pour déterminer l’efficacité de la psilocybine pour le traitement de l’alcoolisme chronique. Les résultats montrent une amélioration du taux d’abstinence. (69)
En 2016 une étude a été publiée par une équipe dirigée par Stephen Ross de la New York University portant sur 29 patients atteints de cancer pour soigner leurs états d’anxiété et de dépression. L’étude montre une amélioration certaine de leur état. (70)
A l’University of Alabama à Birmingham, des chercheurs sous la direction de Peter Hendricks mènent depuis 2015 une étude portant sur 40 patients cocaïnomanes à qui il est administré de la psilocybine.
b) En Europe
En Suisse, à l’Université de Zurich, des recherches ont étés menées ces dernières années, sur le cerveau de 25 volontaires sous psilocybine à l’aide de l’imagerie médicale. L’étude publiée en 2015 par Rainer Kraehenmann montre que la psilocybine affecte positivement la gestion des émotions par le cerveau. L’imagerie cérébrale montre qu'une faible quantité de psilocybine inhibe l'impact des émotions négatives dans l'amygdale, une zone faisant partie du système limbique. Selon les chercheurs, ces travaux pourraient déboucher sur de nouvelles thérapies contre la dépression. (71)
Au Royaume-Uni, début 2012, ont été publiées les résultats de deux études effectuées à l’Imperial College de Londres sous la direction de Robin Carhart-Harris qui depuis lors multiplie les protocoles avec la psilocybine et d’autres psychédéliques. La première étude portait sur 30 volontaires qui se sont vus injecter de la psilocybine en intraveineuse, leur cerveau étant observé par IRM. L'activité dans le cortex préfrontal, qui est hyperactive chez un sujet dépressif, s'est durablement réduite dans le groupe test. (72)
La deuxième étude qui portait sur 10 volontaires, montre que la substance favorise la remémoration des souvenirs positifs chez les sujets sous psilocybine, par comparaison au groupe soumis au placebo. « Nos résultats soutiennent l'idée que la psilocybine facilite l'accès aux souvenirs personnels et aux émotions », indique le responsable du projet R. Carhart-Harris . « Ces effets doivent faire l'objet de recherches plus poussées, mais cela suggère que combinée à une psychothérapie, la psilocybine peut aider les dépressifs à se focaliser sur les événements positifs de leur vie et inverser leur tendance au pessimisme. » (73) La psilocybine, selon lui, peut présenter des « bénéfices durables » après une seule prise, en comparaison avec les antidépresseurs, qui eux doivent être pris quotidiennement et qui entraînent de nombreux effets secondaires.
En 2016, une nouvelle étude est publiée. Il s’agissait d'étudier les changements survenus dans le cerveau de 12 patients souffrant de dépression résistant aux traitements, avant et après avoir reçu une dose de psilocybine. (74)
Gageons que les études médicales sur les champignons hallucinogènes et leur molécule psychoactive, la psilocybine, très prometteuses, vont se multiplier dans les prochaines années.
(NOTE: Article revu, actualisé et très sensiblement augmenté, paru tout d'abord dans Psilocybine, quand la psychiatrie observe la création, les années 60 à Sainte-Anne, catalogue de l’exposition organisée par le Centre d’Etude de l’Expression, hôpital Sainte-Anne, 2015, p. 15-24, puis dans une version remaniée dans : « Addictions : drogue, création, conscience augmentée » , n° spécial de la revue Inter : art actuel (Québec), n°123, mai 2016, p. 43-47 )
© Aymon de Lestrange. Cet article est la propriété intellectuelle d'Aymon de Lestrange, reproduit ici par la Société psychédélique française avec son aimable autorisation.
NOTES
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Hesham R. El-Seedi et al. "Prehistoric peyote use: alkaloid analysis and radiocarbon dating of archaeological specimens of Lophophora from Texas", Journal of Ethnopharmacology, 101 (1–3), octobre 2005, p. 238–42
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Juan de Cárdenas Problemas y secretos maravillosos de India, México : Pedro Ocharte, 1591, p. 3
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Francisco Hernandez De historia plantarum Novae Hispaniae, Madrid : Ibarra, 1790, livre XV, chap. 24-25, p. 70-71
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Bernardino de Sahagún Histoire générale des choses de la nouvelle-Espagne, vol. 1, Paris : Masson, 1880 p. 737
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John R. Briggs "'Muscale Buttons'—Physiological Effects—Personal Experience.", Medical Register, 7 avril 1887, p. 276-77
-
Louis Lewin "Über Anhalonium Lewinii", Archiv für experimentelle Pathologie und Pharmakologie, vol. 24, n° 6, 1888, p. 401-411
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Arthur Heffter "Über Pellote. Ein Beiträge zur chemischen und pharmakologischen Kennnis der Cacteen", Archiv für Experimentelle Pathologie und Pharmakologie, Vol. 34: 1894, p. 65-86 & Vol. 40: fevrier 1898, n° 5–6, p. 385–429 ; “Ueber zwei Cacteenalkaloide”, in: Berrichte der Deutschen Chemisschen. Gesellschaft, Vol. 27, oct-dec 1894, p. 2975-2979 ; Vol. 29: 1896, p. 216-227·& Vol. 31: 1898, p. 1193-1199 ; Ernest Späth “Über die Anhalonium-Alkaloide. I. Anhalin und Mezcalin”, Monatshefte für Chemie, vol. 40, 1919, p. 129-154.
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Silas Weir Mitchell "Remarks on the effects of Anhalonium Lewinii (The Mescal Button)", British Medical Journal, 5 décembre 1896, p. 1625-28
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Havelock Ellis "Mezcal: A New Artificial Paradise", The Contemporary Review, janvier 1898, p. 130-141. Voir également du même : “A note on the phenomenon of mescal intoxication” The Lancet, 75 (1), 1897, p. 1540-42 ; “Mescal, a study of a divine plant”, Popular science Monthly, 61, 1902, p. 52-71. A noter que ce dernier article a fait l’objet d’une étude détaillée et de la traduction en français de nombreux passages in N. Vaschide « Une plante divine : le mescal », La Quinzaine, 1er septembre 1905, p. 113-129
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Aleister Crowley "The Rites of Eleusis", in The Equinox, vol. I n° 6, 1911. Voir également un autre texte de Crowley sur le peyotl : “Liber 777”, in The Equinox, vol. I n° 5, 1911
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Stanisław Ignacy Witkiewicz Les Narcotiques, Lausanne : l'Âge d'homme, 1980, p. 58
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Walter Benjamin Sur le haschich : et autres écrits sur la drogue, Paris, : Christian Bourgois, 1993, p. 89
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Ernst Jünger Approches, drogues et ivresse, Paris : La Table ronde, 1973, p. 412
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Aldous Huxley Les Portes de la perception, Monaco : Éditions du Rocher, 1954, p. 16-18
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Roger Heim « Les champignons divinatoires utilisés dans les rites des Indiens Mazatèques, recueillis au cours de leur premier voyage au Mexique, en 1953, par Mme Valentina Pavlovna Wasson et M. R. Gordon Wasson », Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, tome 242, 20 février 1956, p. 965-68
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Roger Heim « Analyse de quelques expériences personnelles produites par l'ingestion des Agarics hallucinogènes du Mexique », Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, tome 245, 5 août 1957, p. 597-603
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Albert Hofmann & Roger Heim, et al. « Déterminisme de la formation des carpophores et des sclérotes dans la culture du "Psilocybe Mexicana" Heim, Agaric hallucinogène du Mexique, et mise en évidence de la psilocybine et de la psilocine », in Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, tome 246, 3 mars 1958, p. 1346-1351 ; Albert Hofmann & Roger Heim, et al. "Psilocybin, ein psychotroper Wirkstoff aus dem mexikanischen Rauschpitz Psilocybe mexicana Heim", in Experientia, n° 14, mars 1958, p. 107–109
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Albert Hofmann LSD, mon enfant terrible, Paris : Éd. du Lézard, 1997 p. 184-188
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Henri Michaux « La psilocybine (Expériences et autocritique) », Les Lettres nouvelles, 23 décembre 1959, p. 12-13 (repris dans Connaissance par les gouffres, Paris : N.R.F. 1961. pp. 60-61 ; 64)
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Lettre de Henri Michaux à Roger Heim 14 avril 1959 (Archives du Muséum national d'Histoire Naturelle)
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Henri Michaux « 14 h 07 », L’Infini, n° 61, mars 1998, pp. 12 ; 17
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Arthur Koestler "Return Trip to Nirvana", Sunday Telegraph, 12 mars 1961
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Lettre de Jack Kerouac à Timothy Leary 20 janvier 1961
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Ernst Jünger Approches, drogues et ivresse, Paris : La Table ronde, 1973, p. 397 et Albert Hofmann LSD, mon enfant terrible, Paris : Éd. du Lézard, 1997 p. 207
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Anne-Marie Quetin La Psilocybine en psychiatrie clinique et expérimentale, Thèse de Médecine Paris, 1960, pp. 145 ; 151
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René Robert Contribution á l'étude des manifestations neuro-psychiques induites par la psilocybine chez le sujet normal : à propos de 35 protocoles réalisés chez des peintres, Thèse de Médecine Paris, 1962 ; Voir également du même : René Volmat & René Robert « Premières peintures obtenues chez un artiste sous l’action d’un nouvel hallucinogène : la Psilocybine », Aesculape, mai 1960, p. 27-38 ; René Volmat & René Robert et al. « Recherches expérimentales actuelles en esthétique », Le Carabin, décembre 1960, p. 81-90 ; René Volmat & René Robert « Un champignon hallucinogène : le Psilocybe mexicana Heim. Nouvelles perspectives de recherche », Annales scientifiques de l'Université de Besançon : Médecine, 2/5, 1961, p. 15-26 ; Jean Delay, René Volmat & René Robert « L’expérience à la psilocybine chez les peintres », Proceedings of the Third world congress of psychiatry,University of Toronto Press, vol. 3, 1961, p. 261-264
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