23 février 2024

Rencontre avec Kay Parley, par Zoë Dubus

En ce début de mois de février, j’ai eu la chance de rencontre l’infirmière canadienne Kay Parley, 101 ans, dans le cadre d’un documentaire destiné à raconter son histoire. Et quelle histoire ! Non seulement cette femme assistait les patient·es d’Humprhy Osmond (l’inventeur du terme « psychédélique ») lors des séance au LSD, mais elle était également amie avec Elvis Presley !

Grâce à vos dons et à vos adhésions, la Société psychédélique française a participé au financement de ce projet à hauteur de 200 €, et je vous en remercie personnellement. Ce documentaire est porté par l’historienne Erika Dyck, principale historienne des psychédéliques, et Andrew Penn, un infirmier cofondateur de OPENurses, une organisation professionnelle pour les infirmier·es intéressé·es par les psychédéliques. Nous sommes arrivés à Regina, capitale de la province de Saskatchewan, où Kay vit dans une maison de retraite, en début de matinée. En attendant que Ben, le caméraman, mette en place tout le matériel, nous avons fait connaissance avec elle : une toute petite femme recroquevillée dans son fauteuil roulant, coupe au bol et grand sourire édenté, vêtue d’un joli blazer bleu turquoise.

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Après un petit temps d’adaptation de son sonotone, Kay s’est lancée dans le récit de ses aventures. Sa voix est claire et enjouée, ses souvenirs étonnamment précis. Elle explose de rire toutes les deux minutes, sa joie de vivre est communicative.

En 1948, alors âgée de 25 ans, elle est victime d’une crise psychotique et se retrouve internée dans l’hôpital de Weyburn. Loin d’être une expérience traumatisante, ce séjour lui inspire le souhait de devenir une infirmière psychiatrique. Elle obtient en effet son diplôme en 1959, et revient travailler à Weyburn, entretemps devenu le cœur des expérimentations thérapeutiques du LSD. Elle y assiste donc les patient·es durant les séances. Celleux-ci peuvent choisir la personne qui les accompagnera dans cette expérience. Kay nous explique : « il n’y a pas un type de personne ou de qualité à avoir pour être ‘sitter’. Il faut de tout pour que les malades puissent choisir la personne dont le caractère leur convient le mieux ! ». À la question « donniez-vous parfois du LSD à des patient·es sans leur consentement ? », elle fronce les sourcils : « Non ! Quelle horrible idée ! ». À Weyburn, tout était fait pour mettre les patient·es à leur aise : de la musique leur était proposée (plutôt de la musique classique, mais Kay, elle, préférait que ça « swing »), des bouquets de fleurs fraiches et des tableaux décoraient la pièce. Quelle différence avec le contexte français de la même époque !

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Kay en tenue d'infirmière, 1957

D’après ses souvenirs, la majorité des séances se passaient sans réactions pénibles. Kay se souvient que chaque journée consacrée aux traitements par LSD mettait le service des infirmières en ébullition. Une fois la session terminée, celle qui avait été désignée pour être « sitteuse » était pressée de questions par ses collègues : est-ce que ça avait été une « bonne » séance ? Kay souline combien ce travail demandait de tact, de sensibilité, de patience et de capacité à suivre son intuition. Elle dit en riant : « une des infirmières mettait même parfois ses pieds sur le lit du patient quand elle était fatiguée après plusieurs heures de séances. Ça aurait été absolument interdit partout ailleurs ! Mais nous, on était choisies parce qu’on savait être décontractées. »

Elle-même n’a pris du LSD qu’une seule fois : Osmond considérait qu’ayant déjà fait un épisode psychotique, il ne serait pas une bonne idée de lui en donner. La prise de LSD faisait en revanche partie de la formation des autres infirmières. Or, un jour qu’elle était invitée chez Francis Huxley (le neveu d’Aldous), celui-ci lui propose un thé. Devant son refus il ajoute : « ou bien un peu de LSD ? ». Kay est partagée entre l’envie de faire cette expérience et le mécontentement de désobéir à Osmond, qu’elle apprécie particulièrement. Finalement, la curiosité l’emporte. Elle n’a jamais su quelle dose lui avait administré Francis Huxley, mais l’expérience ne fut pas très puissante ; elle se souvient des couleurs, du sentiment d’apaisement, mais aussi de son mal-être soudain et de la capacité de son sitter à la faire sortir de cet état. Cette séance improvisée s’avéra donc particulièrement formatrice.

Kay est inarrêtable : nous avons filmé ce jour-là près de 5 h d’entretien ! Lors d’une courte pause, Erika Dyck lui fait la surprise de lui montrer une bande dessinée sur l’histoire des psychédéliques dans laquelle plusieurs pages lui sont consacrées.

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Elle est absolument ravie. Nous revenons le lendemain pour fêter, un peu en avance, ses 101 ans, avec un gâteau au chocolat.

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Kay nous raconte à cette occasion et comme en passant sa relation avec Elvis Presley, qu’elle rencontra avec sa famille alors que celui-ci était encore adolescent. Leur amitié ne s’est jamais démentie, au point que lorsqu’il venait la voir il se déguisait et portait un fausse moustache, et qu’elle dessina la pochette d’un de ses albums !

Je lui annonce également qu’aujourd’hui (6 février), le premier patient depuis 58 ans a reçu de la psilocybine dans le cadre d’un essai clinique en France.

Ce furent deux journées particulièrement riches et intenses, qui donneront lieu dans les prochaines années à un documentaire et des publications. D’ici là, vous pouvez lire le livre écrit par Kay sur son expérience à Weyburn !